L’officier de quart allume sa cigarette, laissant échapper la fumée par le hublot de la passerelle. Les sourcils froncés, son regard perçant est porté vers le large, son visage est presque stoïque face aux mouvements de tangage du navire. Cela fait deux jours que nous naviguons sur l’une des mers les plus agitée de la planète; le détroit de Drake dans l’océan austral.
Je ne pourrai jamais me lasser de laisser errer mon regard par les fenêtres de la passerelle; regarder ces vagues qui se fracassent et qui s’agitent; ces mêmes vagues qui chahutent le navire dans tous les sens. Au loin, on aperçoit un albatros à sourcils noirs, quelques damiers du cap, des pétrels géantes. Quel bonheur de pouvoir observer ces oiseaux marins si agiles qui virevoltent dans cet environnement si inhospitalier, à nos yeux d’humains.
On vient de laisser derrière nous les côtes montagneuses de la péninsule antarctique, ces terres hostiles, territoires des manchots papous ou à jugulaire, des léopards des mers, des orques ou encore des phoques de Weddell; ces côtes déchiquetées dont les noms nous rappellent les grands explorateurs qui ont foulé ces terres il y a peine 200 ans; Jean-Baptiste Charcot, Otto Nordenskjöld, Adrien de Gerlache.
Le navire garde son cap plein nord. A l’horizon, les premiers reliefs de la Terre de Feu se dessinent dans la brume. D’ici quelques heures, nous serons à Ushuaia, cette ville du bout du monde, prisée des voyageurs au long court et des marins en partance pour le grand continent blanc. Pour moi, l’arrivée dans ce port lové au fond du canal Beagle, marque la fin de ma saison en Antarctique. Intense, incroyable, inoubliable, indescriptible; les mots me manquent pour décrire ce que j’ai vécu.
Géorgie du Sud, archipel des Malouines, péninsule antarctique, Shetland du Sud, île de l’Elephant: des noms qui font rêver; des terres du bout du monde que j’ai parcourues et que j’ai aimées. Parmi les moments qui resteront graver à jamais dans ma mémoire, il y a le lever de soleil sur la plage de St. Andrews devant une colonie d’un demi-million de manchots royaux. Un lieu hors du temps, à l’image de cette partie du monde.
L’arrivée dans la brume vers les côtes escarpées de l’île de l’Elephant restera également inoubliable; au loin, se détachait la silhouette d’une île tout droit sortie des récits des grands explorateurs; une île aux côtes battues par les tempêtes; une île perdue dans la brume de l’océan austral; une île si mythique dans l’histoire de l’exploration polaire.
Parfois, j’ai l’impression de vivre et de travailler dans un monde à part. Un monde fait d’une routine millimétrée où chacun a un rôle précis à jouer. Un monde fait de liberté, de découverte et de rencontres. Travailler dans un lieu confiné, vivre des expériences extraordinaires, être loin de la société, par passion ou par opportunité est addictif. J’ai l’impression de connaitre mes collègues depuis des mois alors que cela fait que depuis quelques semaines que nous nous travaillons ensemble. On est tous sur le même bateau. Loin de tout. Les liens se tissent rapidement; ces liens si uniques mais si difficiles à décrire.
J’aime ce mode de vie; vivre à tout allure, être toujours occupée, être entourée de nombreuses personnes, ne pas avoir à passer plusieurs coups de téléphone pour trouver quelqu’un pour boire un verre. Il est même parfois difficile de se retrouver seul. Un navire est un espace qui fourmille en permanence.
Le navire est à quai. C’est l’heure des au-revoir. Des larmes coulent. On laisse derrière soi une deuxième famille, une deuxième maison. Je repars avec des images plein les yeux et des souvenirs plein la tête; riche d’un trésor inestimable. Passer ces quelques mois à voguer sur les mers du monde en quête de ces paysages si grandioses et de cette faune si unique, partager ma passion et mon amour pour ces terres extrêmes a été une chance inoubliable.
Bonsoir Élodie,
C'est avec grand plaisir que je viens de lire ton récit en Antarctique et admirer tes photos magnifiques 👍😍
J'arrive maintenant à accéder à ton blog via mon téléphone 🥰
Bises 😘😘🐧🐧🐧🐧
Marianne